Economie
Publié le 01/12/2010 à 16:13 - Modifié le 01/12/2010 à 18:57 Le Point.fr
SANTÉ
Monopole de la Sécurité sociale : la fin d'un tabou ?
Le débat sur la dépendance pourrait préparer le terrain à un sujet sensible : la privatisation de la "Sécu".
Par Pauline de Saint Remy

Le déficit de la "Sécu" devrait atteindre 23 milliards d'euros en 2011 © Florence Durand / Sipa
Le système de sécurité sociale à la française est-il intouchable ? Collectif, fondé sur la solidarité, il fait officiellement l'unanimité dans la classe politique comme dans l'opinion publique. Année après année, les réformes tentent de colmater les brèches du système, sans toucher à son fondement. Pourtant, ce n'est un secret pour personne, le déficit de la "Sécu" devrait atteindre 23 milliards d'euros en 2011 et les inégalités augmentent : à titre d'exemple, 20 % des retraités perçoivent aujourd'hui 49 % des remboursements.
Mais à y regarder de plus près, la majorité pourrait bien amorcer discrètement le débat sur un système concurrentiel. Et alors que la dette française atteindra le record de 87,4 % du PIB en 2012, certains estiment même que le gouvernement est bel et bien en train de préparer le terrain pour une réforme en profondeur. Le 24 novembre, en lançant une "vaste concertation nationale" sur le thème de la dépendance, François Fillon déclarait ainsi que les discussions seraient "élargies à toute protection sociale", notamment dans le but de "fixer la part des régimes obligatoires et complémentaires et diversifier les modes de financement" - sans soulever de vague de protestations particulière. Quelques jours plus tard, la ministre en charge du dossier, Roselyne Bachelot, s'interrogeait dans les colonnes du Figaro sur ce que "pourrait être la part de l'assurance (privée) par rapport à la solidarité". "Les Français devront s'exprimer..."
Tabou politique
Pour le sociologue Gérard Mermet, le débat sur la dépendance, "qui a l'avantage d'être moins polémique", pourrait donc être un moyen de commencer à aborder la question d'une réforme du système. D'autant qu'à ses yeux, "les Français, (qui) ont toujours bien perçu leur système notamment à cause de l'image positive qu'on leur renvoyait partout dans le monde", commenceraient à douter, même si le sociologue reste persuadé qu'ils ne sont pas prêts à aborder le sujet sur le terrain politique.
Édouard Fillias, fondateur du parti Alternative libérale, pour l'heure retiré de la vie politique et qui milite depuis longtemps pour la fin du monopole de la Sécurité sociale en France, tient le même type de discours. "Si la Sécurité sociale en tant qu'institution a, en effet, une mauvaise image, le concept, lui, celui d'un service public de la solidarité, est toujours très populaire" explique-t-il. "Et c'est l'unanimité du monde politique à ce sujet qui en fait un tabou extrêmement sensible." Exception faite d'Alain Madelin - qui avait proposé la mise en concurrence des caisses régionales d'assurance maladie -, aucun homme politique ne s'est, à ce jour, lancé dans le débat.
Directives européennes
Depuis vingt ans, la question du monopole de la Sécu ne se pose pour le grand public que de façon très marginale, notamment à coups de reportages sur le "Mouvement pour la liberté de la protection sociale". Souvent jugée extrémiste, cette association créée par l'ultra-libéral Claude Reichman a creusé son trou médiatique en affirmant que la Sécurité sociale devrait être soumise à la concurrence depuis des directives européennes datant de 1992. Les autorités françaises et européennes ont maintes fois contredit cette théorie. Si elles reconnaissent que l'UE a mis en place un marché unique de l'assurance privée, elles rappellent qu'il ne concerne pas les régimes de sécurité sociale des États mais les régimes complémentaires. Pourtant, comme Reichman, un certain nombre de personnes sont passées à l'acte en "claquant la porte de la Sécu"... Au prix d'interminables poursuites en justice.
Pour le très libéral Édouard Fillias, qui a lui-même tenté de quitter la Sécu - avant d'y revenir -, l'obligation de cotiser à la Sécurité sociale est bel et bien toujours en vigueur. À ses yeux, la "prise de conscience" des Français pourrait passer par une "phase de transition", celle du "salaire complet". "Les Français ne se rendent pas compte de ce qu'ils payent", explique-t-il. "Mais s'ils faisaient l'expérience de toucher leur salaire complet, sans prélèvements, et faisaient eux-mêmes leur chèque à la Sécu, ils réaliseraient ce que cela représente." Édouard Fillias est prêt à le parier : "Le sujet va sortir." Mais pas maintenant. "Plutôt entre deux élections..."